L’école, du service de l’Église au service de la communauté

<em>L'Ecole du Prêtre (1808)</em>

L’école du prêtre (1808)

L’école, un service d’église

On ne peut comprendre l’école de l’Ancien Régime si l’on oublie qu’elle est d’abord un service d’église sous une monarchie catholique. Le recrutement des maîtres en ville comme au village ne peut longtemps se faire sans l’assentiment du curé. En effet, l’essor de l’alphabétisation de masse, constaté par les enquêtes sur la longue durée (Furet, Ozouf 1977) commence à la fin du XVIe siècle, dans la mouvance des Réformes, protestante puis catholique. Il est porté par le souci d’instruction chrétienne du peuple, non par une volonté d’initier les masses à la culture écrite. La présence de communautés protestantes actives a stimulé l’effort de scolarisation catholique, inégal selon les lieux et les périodes, selon qu’on est en paix ou en guerre. La période régie par l’Edit de tolérance de 1598 a favorisé l’ouverture et l’encadrement des écoles (le Béarn, terre calviniste, n’est réunie à la France qu’en 1620) (Chareyre 2011).

Après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, l’effort s’est poursuivi avec la volonté royale de « catholiciser » les nouveaux convertis (région de Metz, de la Rochelle, de Nîmes, Montpellier), mais l’instruction protestante persiste dans les familles quand celles-ci n’émigrent pas. Dans les régions peu touchées par le calvinisme comme la Bretagne, l’effort de scolarisation a souvent été moindre, la catéchisation par le curé ou un vicaire suffisant pour préparer à la communion. En effet, selon les ordonnances synodales, les évêques faisaient obligation au clergé d’instruire eux-mêmes les enfants, à défaut de maître d’école. En Bretagne « les Prêtres, qui sont fort nombreux et répandus dans les campagnes se chargent gratuitement de l’instruction des enfants qui sont à portée de la recevoir, et communément, ils s’en acquittent avec assez de zèle », mais ce zèle (qui permet de faire des économies) est loin d’être présent partout (Chartier, Compère & Julia 1976, 30). Il existe aussi des écoles dans cette région mais elles sont souvent tenues par des curés ou des vicaires, même si l’on peut aussi identifier quelques paroisses rurales dotées d’écoles tenues par des laïcs.

Le réseau des écoles rurales et les ressources des maîtres

Les écoles sont à la charge des paroisses qui rémunèrent le maître et lui fournissent un local. Les frais d’écolage payés par les parents sont faibles (en moyenne, 5 sols pour la lecture, 10 pour l’écriture, gratuité pour l’enfant déclaré « indigent » : les frais d’écolage varient souvent d’une paroisse à l’autre, mêmes voisines). Le maître complète ses gains, fixés par le contrat, avec ce que lui verse la paroisse pour chaque service d’église. La carte scolaire dépend donc de la richesse des terroirs, de la proximité des voies d’échanges avec des villes proches, de la densité de la population. Pas d’école là où l’habitat est dispersé ou dans les villages de moins de 300 habitants : les familles sont trop peu nombreuses pour contribuer à l’entretien d’un maître. Dans le diocèse d’Auxerre, 37 des 70 paroisses recensées en 1699 sont trop pauvres pour avoir une école. En réponse au questionnaire de l’évêque sur la présence d’un maître à Vielmanay en 1684, le curé écrit « L’an dernier, il s’en était établi un ; quoiqu’il fût seul et sans famille, il a été contraint d’abandonner, ne trouvant pour y subsister » (Locatelli 1971). Mais il est vrai qu’on trouve bien des écoles en pays d’habitat dispersé, et ce type de communautés rurales élabore parfois de savants montages pour pouvoir obtenir un régent malgré ladite dispersion de l’habitat. On peut simplement placer l’école dans le bourg central et c’est aux enfants de se déplacer ; ou demander au régent de se déplacer d’un hameau à l’autre en fonction des jours de la semaine. Il est aussi vrai que de très petites communautés comptent désormais des maîtres d’école au XVIIIe siècle, même si ce ne sont bien sûr pas les plus nombreuses et que les intendants bloquent parfois les demandes d’école de ce type de localités, afin qu’elles ne s’endettent pas trop. Dans certains diocèses (Bourges, Limoges, Nantes, Blois, Orléans), des fondations pieuses faites par des clercs ou des laïcs tout au long du XVIIe siècle (au XVIIIe pour les écoles de filles) assurent la rétribution des maîtres et la gratuité de la scolarisation. Ailleurs, le maître qui arrive dans une paroisse accueille ses élèves dans le logement qu’on lui alloue (ce qui permet des économies de chauffage l’hiver) : aller à l’école, c’est aller chez le maître. Les enfants se tassent sur des bancs pour lire dans leur Abécédaire, chacun à leur tour, comme on le voit dans le célèbre passage de Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé [1796] où Rétif de La Bretonne relate le souvenir d’une punition imméritée. Pour aller plus loin: Rétif de La Bretonne et son abécédaire

La carte des écoles

La carte du baron Dupin dressée en 1826 distingue ainsi une France bien scolarisée au nord de la ligne Saint-Malo-Genève et une France du Midi, en retard d’alphabétisation. Ce grand partage doit aujourd’hui être nuancé. Il est vrai qu’au Nord, les habitudes paysannes ont tôt intégré la présence du maître et comptent sur lui pour intégrer les enfants à la vie paroissiale en leur inculquant une « littératie » mêlant savoirs élémentaires, conduites sociales et rituels religieux. Mais l’école est aussi déjà très présente dans la moitié sud du royaume, comme le montrent les études sur le Languedoc (M. Laget, D. Blanc), les Landes (Zink), le Rouergue (Astoul), le Béarn (Desplat). Les écoles sont bien là, même si elles échappent souvent aux enquêtes épiscopales. Ce qui change le plus, entre le nord et le sud, c’est sans doute le type de scolarisation : on peut supposer qu’au sud le modèle du « lire religieux » et du « lire seulement » sont exclusifs pour de très nombreux écoliers alors qu’au Nord domine un modèle de scolarisation élargi, amenant davantage d’enfants à la « lecture-compréhension » et à la maîtrise de l’écriture. Cela expliquerait pourquoi les écoles sont nombreuses au Sud et les taux d’alphabétisation de ces régions si faibles. Il n’en reste pas moins que la France du Sud est souvent plus pauvre, les transmissions orales se font en langue d’oc, les conflits de religion (protestantisme, puis jansénisme) ont laissé des cicatrices durables, ce qui explique en partie le « retard » constaté sous la Monarchie de Juillet.

Les écoles des villes

La grande différence entre la campagne et les villes, c’est que celles-ci ont hérité de l’enseignement médiéval et donc de tout un patrimoine d’écoles, de maîtres et de traditions d’enseignement. La croissance des villes a démultiplié les demandes et offres d’instruction, d’autant que la reconquête catholique issue du Concile de Trente fait naître des ordres enseignants nouveaux. Il y a donc plusieurs sortes d’écoles en concurrence. Les maîtres des petites écoles paroissiales scolarisent les enfants quartier par quartier, les conduisent à l’église, leur font le catéchisme, leur apprennent à lire, écrire et parfois compter. Il arrive même qu’ils initient au latin certains enfants qui vont entrer au collège, comme le souhaite Jacques de Batencour, curé de Saint-Nicolas du Chardonnet à Paris.

Les maîtres-écrivains-arithméticiens, organisés en corporation dans les grandes villes, se sont fait une spécialité des écritures administratives, commerciales ou juridiques et de la tenue des comptes qu’ils enseignent à des adolescents visant à devenir greffiers, clercs, secrétaires, négociants ou artisans, mais ils scolarisent aussi des débutants. Cependant, leurs tarifs sont élevés et ils redoutent que les maîtres d’école, dont les frais d’écolage sont bien moindres, ne leur prennent leur clientèle quand ceux-ci proposent l’écriture et le calcul aux élèves les plus persévérants.

Les ordres charitables proposent une instruction gratuite, mais elle reste réservée aux pauvres comme à Lyon, dans les écoles fondées par Charles Démia, ou chez les sœurs de la Charité pour les filles. En revanche, les Frères des écoles chrétiennes sont prêts à scolariser gratuitement (et en français) tous les enfants des milieux urbains populaires, qu’ils soient ou non indigents. Ils excluent les enfants destinés au collège, mais offrent en revanche une initiation à la lecture des « registres », c’est-à-dire des livres manuscrits (modèles de baux, de testaments, d’actes notariés) ainsi que l’apprentissage de l’écriture par la copie de ces écrits utilitaires, en s’installant sur le créneau privilégié des maîtres-écrivains (d’où des recours en justice, que ceux-ci finissent par perdre).

Enfin, une multitude de « maîtres buissonniers », c’est-à-dire non autorisés, offrent à qui le souhaite des cours privés à domicile ou tiennent des classes clandestines à leur domicile.

Ainsi, du fait de ces multiples offres, le degré l’alphabétisation urbain dépasse aisément celui des campagnes, mais le statut de maître d’école y est moins clairement défini qu’au village. D’une manière générale, les enseignants laïques des villes sont enseignants exclusifs (ils ne sont pas, comme au village, chantre, bedeau, sacristain, sonneur des cloches…). Par ailleurs, les statuts des maîtres des deux aires géographiques (rurale d’un côté, urbaine de l’autre) sont suffisamment clairs et distincts l’un de l’autre pour qu’une frontière étanche existe entre ces deux univers scolaires : les régents ruraux, quoiqu’ils changent souvent de paroisses d’exercice, ne deviennent jamais (sauf rarissime exception) régent dans le monde urbain, et vice versa. Par ailleurs, le statut des maîtres d’école urbains est parfois très clairement défini, d’un point de vue juridique : à Lyon ou à Dijon, par exemple, des corporations de maîtres d’école existent, à côté de celles des maîtres écrivains (celle de Lyon ayant été bien étudiée par M. Garden: Garden 2008). D’une certaine manière, c’est également le cas à Paris avec les écoles du Grand Chantre de Notre-Dame.

Si les ordres enseignants charitables jouissent rapidement d’une « réputation » attractive, c’est aussi que les édiles voient en eux le moyen d’encadrer les enfants des rues livrés à eux-mêmes qui constituent un danger pour la paix civile et qui, formés, pourraient devenir des ouvriers utiles à leur cité (d’où l’appui financier que la ville de Lyon accorde à Charles Démia pour scolariser ces garçons). Dès qu’un ordre jouit de locaux stables où il réside ils ont sur les écoles paroissiales l’avantage d’avoir plusieurs maîtres qui travaillent de concert, selon un programme explicitement défini, avec un matériel scolaire standardisé et après avoir reçu une formation (séminaire Saint Charles à Lyon, noviciat de Saint-Yon pour les Frères des écoles chrétiennes). Souvent recrutés parmi d’anciens élèves bien disposés, ils connaissent le profil populaire des familles et la force des inculcations d’enfance : à la Révolution, nombre des Frères des écoles chrétiennes ayant déposé leur cape noire, envisageront de faire apprendre et réciter la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen comme ils faisaient auparavant réciter le catéchisme.

AMC

Sources et références bibliographiques (cliquer ici)

(Chareyre 2011) Chareyre, Philippe, « Le Béarn, terre d’expérimentation de la Révocation »Lengas [En ligne], 70 (2011).

(Chartier, Compère, Julia 1976) Roger Chartier, Marie-Madeleine Compère, Dominique Julia, L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1976.

(Furet, Ozouf 1977) Furet, François, et Ozouf, Jacques, Lire, Ecrire. L’alphabétisation des français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Minuit, 1977.

(Garden 2008) Garden, Maurice, Un historien dans la ville. Écoles et maîtres. Lyon au XVIIIe siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008 p. 155-177 [disponible en ligne : https://books.openedition.org/editionsmsh/9936].

(Locatelli 1971) Locatelli, Jean-Pierre, « L’enseignement primaire et les maîtres d’école à la fin du XVIIe siècle dans le diocèse d’Auxerre », Revue d’histoire de l’Église de France, LVII/158 (1971), p. 96-106 [disponible en ligne : https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1971_num_57_158_1864].

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