Supports non spécifiques

<em>Contrat d'engagement du régent de la paroisse de Versigny (1728)</em>

Contrat d’engagement du régent de la paroisse de Versigny (1728)

Hormis les ouvrages à usage explicitement scolaire, les enfants pouvaient s’exercer à la lecture à partir de supports détournés de leur destination première. De vieux contrats servaient à l’initiation aux écritures manuscrites, tandis que les livres d’église étaient utilisés pour la lecture du latin imprimé ou pour le chant. C’est pourquoi Jacques de Batencour inclut dans son équipement scolaire idéal un « troisième livre pour lire en latin » dont le contenu rappelle celui d’un bréviaire (offices votifs, office des Morts, vêpres de la semaine, hymnes et psaumes) avant d’évoquer la possibilité de confier aux écoliers des « Livres Latins, mal imprimez » pour accroître la difficulté [Batencour 1669, 172].  Le même pédagogue suggère d'employer « quelque Livre de plein chant » pour l’entraînement des élèves les plus avancés [Batencour 1669, 360].

Le contrat d’embauche d’un maître d'école par la paroisse picarde de Versigny (1728) dévoile les éventuels aménagements imposés par ce recours à des livres extra-scolaires. L’article 7 de ce document stipule que le régent de l’école pourra utiliser les livres de chant de la paroisse (vraisemblablement le graduel et l’antiphonaire dont les chantres se servaient au lutrin) afin d’exercer trois fois par semaine les écoliers aguerris. Mais comme ces volumes précieux ne devaient pas sortir de l’église, ce sont les enfants et le maître qui se déplacent jusqu’à eux. Au contraire, l’initiation aux « principes du plein chan[t] » ne nécessitait pas l’emploi de ces livres de grand format : c’est donc à l’école qu’elle se déroulait.

Livres d’église ou livres d’école ?

Les instruments utilisés sur les bancs de l’école et de l’église sont largement fongibles. D’un côté, les livres à l’usage des écoles contiennent généralement, en plus des alphabets et des tables de syllabes, des prières, le symbole des apôtres, les commandements de l’Église, des éléments de l’office. De l’autre, rien de plus facile que d’aménager typographiquement des livres d’office en instruments à l’usage des écoles. À Limoges en 1703, l’imprimeur Sardine utilise ainsi un privilège obtenu « pour l’impression des heures, intitulés livre de prières à l’usage de Limoges » en le faisant servir « à différentes sortes d’heures et avec a.b.c. » : c’est-à-dire qu’il se contente probablement de rajouter quelques tables syllabiques avant le texte des heures [BnF, ms. fr. 22071].

Les raisons de cette circularité sont nombreuses et convergentes. Dans les familles, les raisons financières s’ajoutent aux contraintes matérielles qui commandent d’utiliser ce que l’on a sous la main. Du point de vue de l’Église, la circularité des supports permet l’inculcation précoce de l’habitus chrétien chez le jeune enfant, mais également, en retour, la possibilité de réactiver en famille des compétences acquises dans le cadre scolaire. Du point de vue de l’école, il ne faut pas oublier que l’infantilisation des textes et des objets mis entre les mains des enfants est encore loin d’être considérée comme un préalable à leur usage pédagogique. Certes, l’idée qu’il faut pour les enfants des textes et des objets spécifiques a des occurrences anciennes (Calvin en est un des jalons essentiels), mais elle chemine lentement, au rythme des réflexions philo-pédagogiques sur les capacités lexiques de l’enfance. Enfin, l’indifférenciation des supports renvoie au fonctionnement de la librairie d’Ancien Régime, dont le « pain quotidien » est constitué des livrets à l’usage des écoles et à l’usage des fidèles. Comme les éléments de catéchisme et d’office relèvent du privilège des évêques, qui le délèguent à un imprimeur du diocèse, les textes sortent des mêmes presses.

<em>Pseautier de David accentué (1779)</em>

Pseautier de David accentué avec les cantiques à l’usage des Écoles (1779)

Sans remettre en question la structure générale des ouvrages, l’infantilisation des instruments progresse. Ce processus d’adaptation des instruments de l’office divin à un public écolier se fait de quatre manières.

Il se manifeste d’abord dans le titre de l’ouvrage, qui est souvent dit « à l’usage des écoles de la ville et du diocèse ».

Elle passe ensuite par l’adjonction de morceaux plus spécifiquement pédagogiques, alphabets, prières à réciter en entrant en classe, petites méthodes de lecture et de prononciation.

Elle s’accompagne d’une réflexion sur la composition typographique de l’ensemble : format plus petit, volume moins épais, caractères plus gros. En 1702, le libraire parisien Nicolas Rivière soumet des Heures de Notre Dame sous la forme d’un « in-24 de grosse lettre à l’usage des enfans qui apprenent à lire » [BnF, ms. fr. 21939, n° 863].

Enfin, le texte est aménagé pour les impératifs de l’apprentissage de la lecture, par syllabation et accentuation. L’imprimeur troyen Pierre Michelin imprime en 1717 un Pseautier latin avec les accens sur les lettres pour apprendre plus facilement à lire aux enfans, tandis que Berton publie en 1729 un Pseautier de David accentué, avec les cantiques, à l’usage des écoles.

Sources (cliquer ici)

[Batencour 1669] Batencour (de), Jacques, Instruction méthodique pour l’ecole paroissiale, dressée en faveur des petites Ecoles, Paris, Pierre Trichard, 1669.

[BnF, ms. fr. 22071] Collection Anisson-Duperron sur la librairie et l'imprimerie. Privilèges et permissions, 1417-1706.

[BnF, ms. fr. 21939] Archives de la chambre syndicale de la librairie et imprimerie de Paris, Registre de l'abbé Bignon, 1696-1704.