Chanter le catéchisme

<em>Cartilla para mostrar a leer a los moços</em> (c1526)

Cartilla para mostrar a leer a los moços (c1526)

À partir de la fin du Moyen Âge et durant toute l’époque moderne, la transmission des contenus fondamentaux de la foi chrétienne aux nouvelles générations va de pair avec l’enseignement des rudiments de la lecture et du chant, l’écriture n’intervenant que dans une moindre mesure. L’articulation de ces trois éléments – catéchisme, alphabétisation et vocalisation ou chant – se retrouve presque systématiquement dans les différents espaces géographiques, d’une confession à l’autre, durant toute la période considérée (van Orden 2006, Filippi 2015, Filippi 2017).

Dans les pays catholiques, les enfants s’exerçaient en général à la lecture sur les prières fondamentales, Pater noster, Ave Maria, Credo, Salve Regina (voir la page Un « Ancien Régime » de la lecture). C’est à partir de ces textes que les premiers éléments de la doctrine chrétienne leur étaient expliqués. Les enfants devaient ensuite répéter ces prières, seuls ou en chœur, en les récitant ou en les chantant. Ce chant lui-même recouvrait toute une gamme d’exercices, des formes les plus simples de vocalisation à des exécutions polyphoniques relativement complexes (voir la page Récitation).

Le caractère universel de cette triple initiation est attestée indirectement par l’adoption de méthodes comparables dans le cadre des missions (voir la page Extensions du christianisme européen).

Le plus ancien texte imprimé qui documente ces pratiques est la Cartilla para mostrar a leer a los moços. Con la dotrina christiana que se canta amados hermanos (Abécédaire pour enseigner à lire aux petits enfants. Avec la doctrine chrétienne qui se chante Chers frères), probablement imprimée à Tolède en 1526 (voir la reproduction ci-dessous ; Infantes 1998). Après le frontispice représentant une scène de « classe », on trouve un alphabet (introduit par le signe de la croix et suivi par les abréviations les plus courantes), puis les syllabes (de deux à quatre lettres, en ordre croissant), les quatre prières fondamentales en latin et en langue vulgaire (romance). La doctrine chrétienne à chanter, formée de brefs vers semi-métriques et rimés de façon irrégulière, commence au folio [11], après d’autres textes et prières.

Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616) Les Rossignols spirituels (1616)

Si l’on en juge par les témoignages qui nous sont parvenus et par de petits livres qui constituent de véritables manuels, comme le Modo per insegnar la dottrina christiana du jésuite Diego de Ledesma (Rome, eredi di Antonio Blado, 1573), le chant est présent de deux manières dans les leçons de catéchisme. D’un côté,  il apparaît comme un élément accessoire, paratextuel, comme dans le chant des litanies. D’un autre côté, il représente l’expression sonore du contenu doctrinal, comme dans le cas de la doctrine chantée espagnole que nous venons de voir.

Ce second cas, qui nous intéresse ici plus spécifiquement, est également mis en évidence par le document que l’on peut découvrir en cliquant sur l’image ci-contre. Il s’agit d’un passage des Rossignols spirituels (p. 16-23) du jésuite Guillaume Marc (1616), qui fait se succéder une Doctrine chrestienne en vers dialogués et un chant qui expose les commandements et les préceptes de Dieu et de l’Église à partir des trois vertus théologales.

<em>Les Hymnes sacrez et odes spirituelles </em>(1608)

Michel Coyssard, Traicté du profit (1608)

L’utilisation du chant dans le catéchisme présente plusieurs avantages. Il facilite la mémorisation exacte du contenu, à partir d’une trame métrique et formelle qui décourage les ajouts et les altérations. Il implique directement les élèves, y compris d’une manière très physique. Il représente une distraction et un instant de plaisir  au cœur de la leçon. Il facilite l’interaction et la construction d’une identité collective. Si le chant se prête bien à la dimension publique de la catéchèse (voir la page Représentations), les mécanismes spontanés de reproduction du chant en dehors des contextes scolaires ou catéchétiques, contribuent par ailleurs à répandre la doctrine « par contagion » et à remplacer d’autres répertoires, malvenus pour des raisons morales ou confessionnelles.

Dans le cadre français, un des textes plus importants concernant les raisons et les avantages du chant est le Traicté du profit que toute Personne tire de chanter en la Doctrine Chrestienne, & ailleurs, les Hymnes, & Chansons spirituelles en vulgaire du jésuite Michel Coyssard (1547-1623), publié en 1608, que l’on peut consulter à partir de l’image ci-contre (van Orden 2006, Filippi 2015).

DVF

Références bibliographiques (cliquer ici)

(Filippi 2015) Filippi, Daniele V., « A Sound Doctrine: Early Modern Jesuits and the Singing of the Catechism », Early Music History, 34 (2015), p. 1-43.

(Filippi 2017) Filippi, Daniele V., « “Catechismum modulans docebat”: Teaching the Doctrine through Singing in Early Modern Catholicism », Daniele V. Filippi,  Michael Noone (éds.), Listening to Early Modern Catholicism: Perspectives from Musicology, Leiden, Brill, 2017, p. 129-148.

(Infantes 1998) Infantes, Víctor, De las primeras letras: cartillas españolas para enseñar a leer de los siglos XV y XVI, Salamanca, Ed. Univ. de Salamanca, 1998.

(van Orden 2006) van Orden, Kate, « Children’s Voices: Singing and Literacy in Sixteenth-Century France », Early Music History, XXV/1 (2006), p. 209-256.