Maîtres et maîtresses

Si les maîtres et maîtresses d'école sont les principaux passeurs de la lecture, comme on le verra plus tard, ils jouent aussi un rôle fondamental dans l'éducation vocale et musicale des enfants.

<em>Statuts synodaux pour le diocèse de Besançon (1575)</em>

Statuts synodaux du diocèse de Besançon, publiés en 1575.

Au lendemain du Concile de Trente (1545-1563), les évêques les plus engagés dans la reconquête catholique accordent un intérêt nouveau aux petites écoles, d’abord perçues comme un moyen de lutter contre les « hérétiques » (protestants). Ils espèrent confier aux régents d'école la mission, non seulement d’apprendre aux enfants à lire, écrire et compter, mais également de propager les bonnes pratiques catholiques. Les écoles et leur maître apparaissent alors dans les « statuts synodaux », cadre dans lequel les prélats définissent la réglementation de la vie ecclésiale et spirituelle de leur diocèse. En 1575, l’archevêque de Besançon, Claude de La Baume, qui doit compter avec le voisinage immédiat de cantons suisses protestants, rédige des statuts synodaux. Les maîtres s'y voient confier le soin de faire chanter à leurs élèves, à l’école ou à l’église, chaque soir et chaque jour de fête, des chants principalement dédiés à la Vierge — ce qui ne doit sans doute rien au hasard, le culte marial étant au coeur de la réaffirmation de l’identité catholique face aux confessions réformées.

<em>Reglemens pour la conduite des Clercs Séculiers, Maîtres d'Ecole du Diocèse de Noyon (1746)</em>

Règlement pour la conduite des maîtres d'école du diocèse de Noyon, 1746.

Si la prescription épiscopale d’un enseignement scolaire du chant religieux n’était encore que ponctuelle au XVIe siècle, elle devient en revanche sensiblement plus présente à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècles, au moment où les évêques, après avoir œuvré un siècle durant à la réforme du clergé paroissial, tâchent désormais de parvenir à un meilleur encadrement moral et spirituel des fidèles. Par cette accession du chant religieux au rang de savoir scolaire élémentaire, les évêques entendent notamment donner à chaque paroisse un groupe d’hommes « aptes à participer à la liturgie des heures », afin de parvenir à une plus grande solennisation des cérémonies religieuses (Dompnier 2010 ; Bisaro 2010). Mais encore faut-il remarquer qu’il s’agit d’abord là, en France, d’une politique épiscopale des diocèses du nord du royaume. Dans les Règlemens pour la conduite des clercs séculiers, maîtres d’école du diocèse de Noyon, publiés en 1673 à l’initiative de Mgr de Clermont-Tonnerre (puis réédités en 1746 par Mgr de La Cropte de Bourzac), l’évêque demande par exemple aux maîtres d’école de faire entonner à ses élèves l’antienne Sub tuum praesidium à l’issue de chaque journée de classe, tandis que les écoliers les « plus avancés » devront être formés par leur régent (lui-même chantre à l'église) à « chanter au Lutrin, s’ils y ont quelque disposition, psalmodier, entonner les versets, & chanter les Leçons, & les Epîtres », afin de pouvoir « aider au Service Divin ».

<em>Reglemens pour les ecoles de la Ville &amp; Diocese de Lyon (Démia, 1685)</em>

Règlement des écoles de la ville et du diocèse de Lyon, rédigé par Charles Démia (1685).

Au cours du XVIIe siècle, des pédagogues chrétiens ouvrent des écoles de charité dans les villes du royaume de France et rédigent des règlements qui organisent avec la plus extrême minutie le quotidien des enfants. Ils espèrent ainsi inculquer aux écoliers un ensemble complet de gestes, de pratiques, de paroles et de croyances catholiques. En 1666 l’abbé Charles Démia, soutenu par les milieux dévots de la ville, fonde la congrégation des Frères de Saint-Charles. Elle ouvre sa première école de charité l’année suivante. La ville en comptera bientôt plus d’une dizaine. Dans le règlement qu’il fait publier en 1688, Démia porte une grande attention à l’enseignement de la lecture latine pour les enfants de familles déshéritées, de même qu’à leur initiation au plain-chant. La journée des écoliers pauvres de Lyon s’écoule selon un rythme parfaitement fixé, transformant leurs écoles en de véritables communautés enfantines où les actions les plus courantes (la distribution du pain au déjeuner, le commencement de la lecture) sont ouvertes ou doublées par le chant de textes latins extraits des Écritures ou directement empruntés à l’office divin.Les écoliers les plus âgés reçoivent par ailleurs une leçon de plain-chant, une demi-heure avant la reprise des classes de l’après-midi (Bisaro 2015; Bisaro 2017).

<em>Contrat d'engagement du régent de la paroisse de Versigny (1728)</em>

Contrat de recrutement d’un maître d’école dans la paroisse de Versigny, en 1728.

Si l’on entonne chaque jour des chants religieux dans les écoles de charité urbaines, la pratique en est également répandue dans les petites écoles rurales du XVIIIe siècle, ainsi que le demandaient les évêques dans leurs statuts synodaux. Difficile, toutefois, d’en savoir autant pour le village que pour les villes, notamment en ce qui concerne les moments de la journée où chantent les écoliers et les chants enseignés par leurs maîtres. Les contrats de recrutement des régents d’école, rédigés par les communautés villageoises, nous fournissent néanmoins quelques précieux renseignements. Celui passé entre les habitants de la paroisse de Versigny (Oise) et Charles Ducro, le 26 mai 1728, est, à cet égard, un bon reflet des obligations contractuelles des maîtres d'école ruraux. Charles Ducro, par ailleurs chargé de nombreuses fonctions d’église dans la paroisse (chantre, bedeau, sacristain, sonneur des cloches), devra apprendre le plain-chant à ses écoliers, en sus des rudiments (lire, écrire, compter) et de la « dévotion » chrétienne (article 7). Autour de l’apprentissage du plain-chant par le maître, plusieurs informations nous sont fournies par le contrat, à commencer par le fait qu’il n’est pas seulement assuré dans la maison d’école mais également à l’église, trois fois par semaine, à l’issue des cérémonies religieuses. Cependant, l’exercice du plain-chant ne concerne pas tous les enfants de l’école. Ainsi, seuls les écoliers les « plus avancés » chantent à l’église, chaque semaine. Et même au sein de l’école, une distinction existe : les élèves qui apprennent seulement à lire ne bénéficient pas de cet enseignement, a contrario de ceux qui apprennent également à écrire et à compter. Figurant parmi les savoirs scolaires les plus élevés et les plus onéreux pour les parents, savoir chanter sur le livre est, de fait, un usage réservé aux enfants des classes moyennes et supérieures du village.

CS

Références bibliographiques (cliquer ici)

(Bisaro 2010) Bisaro, Xavier, Chanter toujours. Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (XVIe-XIXe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010.

(Bisaro 2015) Bisaro, Xavier, « La voix des pauvres : chant et civilité oratoire dans les écoles de charité de Lyon à la fin du XVIIe siècle », Histoire de l’éducation, 143/1 (2015), p. 125-154.

(Bisaro 2017) Bisaro, Xavier, « Singing the Community : Plainchant in Early Modern ‘petites écoles’ », Daniele V. Filippi, Michael Noone (éds.), Listening to Early Modern Catholicism: Perspectives from Musicology, Leyden, Brill, 2017, p. 94-111.

(Dompnier 2010) Dompnier, Bernard, « Les ordonnances synodales des XVIIe et XVIIIe siècle et la réglementation du culte », Marc Aoun, Jeanne-Marie Tuffery-Andrieu (éd.), Conciles provinciaux et synodes diocésains, du concile de Trente à la Révolution française : défis ecclésiaux et enjeux politiques, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2010, p. 365-383.