Voix suscitées, voix écoutées : à la recherche de la voix des enfants du passé

Jobs als Schulmeister (1845)

Hasenclever, Jobs als Schulmeister (1845)

À l’époque moderne, comme aujourd’hui, la voix des enfants résonne constamment entre les murs des maisons, dans la rue et dans les cours, à l’église et à l’école. Paroles, chansons, rires et cris ponctuent les jeux et les disputes, accompagnent les processions religieuses, annoncent la sortie des classes. Spontanée ou disciplinée, clameur ou murmure, la voix de l’enfant est omniprésente, et pourtant elle semble insaisissable à l’historien qui tente de la retenir.

Lorsqu’il cherche à retrouver les voix des enfants du passé, leur phrasé, leur rythme, leur souffle, leur couleur, l’historien se heurte en effet à deux séries de difficultés. Les premières regardent la manière d’écrire l’histoire de l’enfance. L’historien n’y accède le plus souvent qu’à travers le regard des adultes, parents ou éducateurs : un regard que les représentations culturelles de l’époque chargent de valeurs et de connotations parfois contradictoires, l’enfant étant tout ensemble le meilleur médiateur du divin, la préfiguration de l’avenir ou un être inachevé, constant rappel de l’imperfection de l’homme post-lapsaire.

La seconde difficulté concerne l’histoire des voix et, plus largement, des bruits du passé, qui ne se donnent à entendre qu’à travers le média de documents muets, procès-verbaux de police, traités musicaux et pédagogiques, partitions, images. La voix des enfants n’échappe pas à la norme. L’historien la retrouve d’abord dans des documents prescriptifs qui l’envisagent en fonction des normes esthétiques et des représentations sociales de l’époque, ainsi que dans des témoignages textuels et iconographiques qui la décrivent ou l’évoquent a posteriori. Il n’est pourtant pas de bonne méthode d’opposer la voix « réelle » à la voix « idéale » décrite par des sources. Si les bruits du passé ne nous parviennent pas dans leur réalité brute, c’est que celle-ci n’a jamais existé : les voix ne nous sont accessibles qu’à travers la manière dont les contemporains les percevaient, les écoutaient et les décrivaient, qui constitue leur réalité historique.

Puisque c’est dans ces sources que se joue l’expérience historienne d’une écoute des enfants du passé, ce sont elles que cette exposition a choisi de mettre en avant et d’éclairer à la lumière des travaux des historiens, des musicologues et des ethnologues du passé. Le parcours s’organise en trois étapes. La première s’intéresse aux espaces matériels dans lesquels s’expriment les voix enfantines, ainsi qu’aux « passeurs » qui les accompagnent, leur donnent forme et leur confèrent du sens. La seconde étape envisage la voix de l’enfant au coeur du processus de fabrication des identités collectives, confessionnelles ou politiques. Enfin, la troisième section de l’exposition cherche à revenir au plus près de l’élocution enfantine, telle qu’elle s’exprime au cours des apprentissages scolaires, dans les exercices publics ou la « pédagogie cérémonielle » des représentations catéchétiques et révolutionnaires. Tout au long du parcours, on s’est efforcé de mettre la situation française en regard d’autres réalités, dans le monde catholique ou réformé.

À l’initiative de ce projet, il y eut Xavier Bisaro, professeur de musicologie à l’université de Tours, brutalement disparu au printemps 2018. L’équipe qu’il avait rassemblée a eu à coeur de poursuivre le travail collectif engagé. Cette exposition virtuelle est aussi une manière de lui rendre hommage.

EC