Rituels scolaires

Depuis la Renaissance, l’école est un monde très fortement ritualisé. Une partie de ces rituels sont intrinsèquement liés à l’institution scolaire, à son fonctionnement et à ses exercices. Comme le souligne l’ethnologue Alain Marchive, en un constat contemporain qui vaut aussi pour une époque plus ancienne, « l’école en effet n’est pas seulement un lieu d’apprentissage, elle est un monde où se construisent de nouvelles formes de civilité… et où s’exercent certaines formes de ritualité : rites de passage et institution (rentrée scolaire, examens…), rites cycliques (fêtes scolaires), rituels “pédagogiques” en lien avec l’organisation et le déroulement des activités scolaires (mise en rang, appel, entretien, conseil ou réunion coopératives…), rituels “didactiques” dans les situations d’enseignement et la mise en œuvre des conditions de diffusion des savoirs » (Marchive 2007, 597).

À l’époque moderne, beaucoup de ces rituels scolaires se déroulent en réalité en dehors de la classe : ils sont liés aux fonctions que remplit le maître au sein de la paroisse et de la communauté villageoise. En effet, le contrat que le maître signe avec la communauté qui l’embauche prévoit le plus souvent, à côté de l’instruction des enfants, un certain nombre de tâches liées au service du curé ou de la communauté : entretenir l’église, son mobilier, les ornements, assister aux offices, y conduire les enfants, et surtout, chanter aux messes et à vêpres ; mais aussi, selon les cas, tenir les écritures et les comptes de la fabrique, donner lecture des actes publics, arpenter les biens… et sonner les cloches ! 

<em>Contrat d'engagement du régent de la paroisse de Versigny (1728)</em>

Contrat d’engagement du régent de la paroisse de Versigny (1728)

Rituels scolaires

Les horaires de l’école sont spécifiés dans les contrats d’embauche des maîtres des petites écoles, ou dans les plans de formation pour les régents des collèges. À Versigny, Ducro – le candidat engagé en 1728, aux termes du contrat présenté ci-contre – « sera tenu de tenir l’ecole exactement depuis sept heures jusques a onze heures en tout temps et depuis une heure apres midy jusques a quatre heures en hiver et en este depuis deux heures jusques a cinq, quittera toute affaire pour estre assidu a son ecole sans qu’il puisse donner congé que le jeudy apres midy, quand il n’y aura point de feste dans la semaine, et aussi les samedis, tiendra l’ecole jusques a vespres, auxquelles il fera assister ses ecoliers, s’il arrive quelques feste quelque jour qu’elle arrive, il ne donnera point de congé la ditte semaine ».

Plus ou moins détaillé dans les contrats, le calendrier scolaire est souligné par une série de rituels qui institutionnalise la séparation des temps et des espaces. Ainsi, la limite qui distingue l’espace domestique, l’espace de la cité et l’espace scolaire est soulignée par les rituels d’entrée. Ceux-ci sont très fortement marqués dans les règlements des communautés enseignantes, comme ceux des écoles Démia à Lyon ou des Frères des Écoles chrétiennes, qui rappellent les règles de comportement spécifiques à l’étude et la nécessaire attention portée à la tenue (Doray 1997).

<em>Un groupe d'écoliers en prière (1633)</em>

Un groupe d’écoliers en prière (1633)

Dans le cadre scolaire, les rituels dits d’enseignement et d’apprentissage occupent une place importante (Hatchuel 2005). Comme on l’a déjà vu (voir la page Récitation), ils se fondent beaucoup sur la mémorisation et la répétition des connaissances, tant à la petite école qu’au collège. Ainsi, le règlement du collège académique d’Orthez prévoit la récitation de l’oraison dominicale, du symbole des apôtres et de la prière en action de grâces, en langue française, en plus du catéchisme en béarnais, dès la petite classe de 7ème. En 4ème, le catéchisme doit être récité en latin (Garrisson-Estèbe 1984, 83). Enfin les exercices oraux, comme la dispute, constituent des moments fortement ritualisés, au cours desquels les élèves démontrent leurs capacités de mémorisation et leur aisance à l’oral.

Des rituels hors l’école

Une grande partie de la vie scolaire se passe dans ou autour de l’église. Le maître est présent à tous les baptêmes, mariages, enterrements, avec les enfants de chœur, il fait répéter les chants dans l’église pour les messes chantées et les fêtes du lieu (Annonciation, Saint-Sabot), il organise les processions (Rogations, Fête-Dieu, Fête des moissons), il participe aux pèlerinages proches (ici à Notre-Dame de Liesse), il signale la « montée en grade » de ses écoliers, au fur et à mesure qu’ils revêtent le camail, l’aube et le bonnet carré qu’il a fait confectionner pour eux.

Le journal de Pierre Delahaye, maître à Silly-en-Multien de 1771 à 1792, témoigne de l’importance et de la récurrence de ces rituels [Bernet 2000] (Bisaro 2018). Son école compte une cinquantaine d’élèves, dont un certain nombre de filles. Il rapporte soigneusement dans son journal toutes ses activités au service de la paroisse, en signalant les gains occasionnés : « février 1772 : Le jour des Cendres, j’ai reçu de Daux, bedeau de l’église, la somme de 3 livres pour services des trépassés de la paroisse qui se disent pendant le Carême ».

Ce maître ne parle de son « travail pédagogique » qu’à deux reprises, lors de la fête de la Saint-Nicolas et de Noël. La Saint Nicolas est la fête des écoliers : « Vendredi 6 [décembre 1782]. Les enfants de mon école ont porté un gâteau à la grand’messe et l’ont payé en commun. Ils ont donné 3 sols pour cela et en outre, 3 sols pour faire la fête à l’école de sorte que j’ai reçu en tout 12 livres. C’est la femme de Pierre France qui a fait le gâteau et les 4 brioches, moyennant 5 livres. Il était fort beau et bon » (suit l’énumération des enfants de chœur ayant « chanté la messe seuls », « porté le gâteau sur une civière », « porté le cierge »). « Après la messe, nous fûmes à l’ordinaire chez monsieur le vicaire pour le remercier et lui présenter une brioche, ensuite nous fûmes chez les sœurs les prier de donner congé aux filles (…). Enfin nous revînmes à l’école où je donnais à dîner aux enfants au nombre de 36 (…) Après quoi ils jouèrent le reste du jour ».

Les succès dont il se réjouit le plus sont ceux qui sont jugés publiquement par les villageois au cours des offices. Il raconte avec fierté qu’en mars 1782, « le dimanche 17, première Passion un peu avant vêpres, ma fille Marine Elizabeth Isaure a répété la Passion en français par cœur parfaitement bien en présence de Mr le Vicaire et de tous ceux qui étaient dans l’église ». La fillette a onze ans. Décorer l’église avec les élèves, préparer les enfants de chœur, leur faire répéter les chants, les processions et jeux de rôles de la messe de minuit qui mêlent filles et garçons (comme pour la Saint-Nicolas), tout cela a dû demander des heures de répétition dans l’église et la classe.

Pour la messe de minuit en 1781, Pierre Delahaye relate le cérémonial vécu par les enfants, filles et garçons : « A la messe de minuit cette année, Jean Louis Deseaues et Marie François Vincent ont présenté chacun un agneau pour être bénis. C’est Deseaues fils qui a présenté celui de son père et le fils du berger dudit Vincent qui a présenté le sien. Adélaïde Vincent a été la Vierge et elle a eu pour compagne Catherine Lefèvre et Marie Elisabeth DeLahaye. Pierre Claude Nicolas Lequeux et Pierre Félix Vincent ont été bergers. C’est moi qui ai fait leurs houlettes et bandoulières. Barthélémy Cholet, Pierre Germain Denisot et Jean Pierre Nicolas Mercier ont été anges. C’est moi pareillement qui ai fait leurs ailes et leurs ceintures. Jean Vincent m’a payé pour mes peines et fournitures de papiers et couleurs la somme de 4 livres. Il y avait plus de 60 bergères. J’ai mis dans l’Eglise 92 lampions, 30 chandelles dans des porte-flambeaux, attachés de part et d’autre sans compter un bon nombre de cierges. La cérémonie s’est parfaitement bien faite et dans un bon ordre. Lequeux et Félix Vincent, bergers, les 3 anges, 4 bergers, savoir Geneviève Lefèvre, Geneviève Dubois, Marie Anne Lefèvre et Marguerite Porcq chantèrent alternativement le cantique : quittez vos troupeaux et chantons l’heureuse naissance au retour de l’Offrande. Après le Panis Angelicus, j’ai chanté seul pour ma partie et Lequeux et Félix Vincent pour la leur, le cantique : célébrons le roi de gloire, etc… On n’a pas été plus longtemps à l’Office que d’ordinaire ».

Depuis le Concile de Trente, les évêques s’étaient plutôt montré réservés à l’égard de ces manifestations populaires « distrayantes » : « Un certain nombre d’usages liturgiques anciens, ou de coutumes liées à certaines fêtes, les uns et les autres à caractère généralement local, sont rejetés comme indignes de la grandeur des mystères du christianisme ; de surcroît, bien loin de stimuler la piété des fidèles, ils provoquent chez eux la distraction. Cela touche surtout le temps de Noël aussi, de manière plus diffuse, des processions costumées, avec des “représentations des saincts, des anges démons ou pèlerins”, telles celles qu’interdit l’évêque de Paris en 1620 » (Dompnier 2010). Rien de tel ici : le curé qui voit les effets intégrateurs des cérémonies religieuses et sociales (il sera favorable à la Constitution et prêtera serment), avance l’argent, récompense le maître et rembourse largement les dépenses pour soutenir ces célébrations grâce auxquelles les enfants encadrés et associés au culte, participent à la bonne renommée de la paroisse.

VC, EC, AMC

Sources et références bibliographiques (cliquer ici)

[Bernet 200] Bernet, Jacques (éd.), Journal d’un maître d’école d’Ile-de-France, 1771-1792. Silly-en-Multien, de l’Ancien Régime à la Révolution, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000.

(Bisaro 2018) Bisaro, Xavier, « Le chant des écoliers de Silly-en-Multien à la fin de l’Ancien Régime : une initiation villageoise », Cahiers d’ethnomusicologie, 31, 2018, p. 39-54.

(Dompnier 2010) Dompnier, Bernard, « Les ordonnances synodales des XVIIe et XVIIIe siècle et la réglementation du culte », Marc Aoun, Jeanne-Marie Tuffery-Andrieu (éds.), Concils provinciaux et synodes diocésains, du concile de Trente à la Révolution française : défis ecclésiaux et enjeux politiques, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2010, p. 365-383.

(Doray 1997) Doray, Marie-France, « Rituels de rentrée scolaire et mise en scène de dogmes pédagogiques », Ethnologie française, XXVII/2 (1997), p. 175-187 [disponible en ligne : https://www.jstor.org/stable/40989854].

(Garrisson-Estèbe 1984) Garrisson-Estèbe, Janine, « L’Académie d’Orthez au XVIe siècle », Arnaud de Salette et son temps. Le Béarn sous Jeanne d’Albret. Actes du colloque international d’Orthez (16, 17 et 18 février 1983), Orthez, Per Noste, 1984, p. 77-88.

(Hatchuel 2005) Hatchuel, Françoise, « Rituels d’enseignement et d’apprentissage », Hermès. La Revue, 2005/3, n°43, p. 93-100 [disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2005-3-page-93.htm].

(Marchive 2007) Marchive, Alain, « Le rituel, la règle et les savoirs. Ethnographie de l’ordre scolaire à l’école primaire », Ethnographie française, IV (2007), p. 597-604.