École
Dans les petites écoles de l’Ancien Régime, les enfants apprenaient les « rudiments », c’est-à-dire à lire, chanter et réciter le catéchisme, et s’ils fréquentaient l’école assez longtemps, à écrire et à compter. Pour se représenter ces lieux d’apprentissage, leurs usages, les conditions d’exercice, leurs évolutions selon les régions entre le XVe et le XVIIIe siècle, il faut croiser de nombreuses sources, car les premières « histoires de l’école en France » en donnaient des visions contradictoires.
Deux regards divergents sur l’école d’Ancien Régime
Dans un livre pionnier, Histoire de la pédagogie (1880), Gabriel Compayré a retracé le passé scolaire à partir des traités d’enseignement : L’école paroissiale de Jacques de Batencour (1654), les Règlements pour les écoles de Charles Démia (1674), la Conduite des écoles de Jean-Baptiste de La Salle (1706, 1720), pour ne citer que les plus célèbres. Dans la longue marche du progrès, le rôle de ces pédagogues soucieux de l’instruction populaire a été décisif. Cependant les contenus et les modes d’enseignement prescrits ou souhaités par ces traités ne concernaient que les écoles établies par leurs fondateurs et même s’ils ont pu constituer des « modèles pédagogiques » à suivre, leur mise en œuvre exigeait des lieux propres à accueillir un grand nombre d’enfants, encadrés par plusieurs maîtres. Ils n’ont pu se concrétiser que dans de « grosses écoles », installées dans des édifices municipaux ou privés, des bâtiments conventuels adaptés ou reconstruits, des hospices ou des orphelinats, acquis ou loués par les fondateurs. Ils ne concernaient pas les petites écoles de village.
Or, c’est bien cet autre « modèle d’école » qui est institué au moment de la Révolution, dans le projet présenté à la Convention le 12 décembre 1792 :
Les bâtiments des écoles primaires seront fournis par les communes, qui pourront disposer à cet effet des maisons de fabrique ou des maisons nationales déjà uniquement consacrées aux petites écoles. Les frais de premier établissement, d’ameublement et d’entretien seront à la charge des communes. Les instituteurs des écoles primaires seront logés aux frais des communes, et autant que faire se pourra dans le lieu même des écoles.
Le décret du 8 mars 1793, qui déclare « biens nationaux » les écoles des villes, des paroisses rurales, des communautés religieuses, en fait dresser l’inventaire (d’où un possible état des lieux à cette date), mais en interdit la vente, interdiction réitérée mais parfois trop tardive. Ainsi le 3 brumaire de l’an IV (octobre 1796) :
Il sera fourni par la République, à chaque instituteur primaire, un local, tant pour lui servir de logement que pour recevoir les élèves pendant la durée des leçons. Il sera également fourni à chaque instituteur le jardin qui se trouverait attenant à ce local.
L’administration définit ainsi ce qu’est ou devrait être une école élémentaire, en décrivant non une pédagogie, mais un bâtiment. C’est l’école rurale à classe unique, avec un seul maître logé sur place, avec un jardin. Il n’est pas encore dit que le lieu pour faire classe doit être séparé de l’appartement où le maître vit, mange, dort (avec, le cas échéant, sa famille), encore moins demandé que cette « maison d’école » ait une cour, un préau, des lieux d’aisance réservés aux écoliers (Julia 1981).
Quel bilan est dressé après la Révolution ? « Rien ne donne une plus juste idée du mépris qu’on fait généralement en France de l’instruction primaire que le petit nombre de bâtiments spéciaux affectés à cet emploi », écrit Lorrain dans son Tableau de l’instruction primaire en France de 1837. Le rapport au Roi de 1833 établissait que « 9654 communes ou réunions de communes possèdent, sous ce rapport, tout ce qui leur est nécessaire ; qu’il en est au contraire 21 089 qui n’ont pas de local affecté à l’instruction primaire ». Deux communes sur trois étaient démunies en 1833 (en 1843, c’est l’inverse : 23 761 sont équipées). Le constat de Lorrain, pessimiste à dessein, visait à justifier l’urgence de dotations budgétaires. Puisant dans les pires constats établis par « l’enquête Guizot » de 1833 (cinq cents inspecteurs avaient visité toutes les communes de France), l’historiographie de la IIIe République a retenu les situations les plus scandaleuses et nourrit une vision noire des écoles d’Ancien Régime, comme en témoigne le Dictionnaire de pédagogie (1887) dirigé par F. Buisson, à l’article « Maison d’école » :
le local de la classe servait à tous les usages, tour à tour salle de cabaret, cuisine, chambre à coucher, corps de garde, salle de danse. C’est souvent une cave, un cloaque, un grenier, un cachot. Dans certaines communes, les enfants cohabitent avec le pourceau du ménage et les autres animaux domestiques que nourrit l’instituteur. Ailleurs, l’école n’a que douze pieds carrés : dans ce local se trouvent réunis, au fort de l’hiver, quatre-vingts élèves.
De quoi alimenter la polémique entre ceux qui mettent en cause l’incurie de l’Ancien Régime et les catholiques qui imputent cet état lamentable aux destructions révolutionnaires.
Les maisons d’école sous l'Ancien Régime : un équipement en progression
Entre les inventions d’éducateurs pionniers (priorité à l’enseignement des pauvres, école gratuite, élaboration d’une progression, alphabétisation en français, enseignement collectif par le « mode simultané », etc.) et le réseau défaillant et archaïque dont hérite la post-Révolution, comment caractériser sereinement les écoles de l’Ancien Régime « sur le terrain » ? On sait que les écoles rurales privilégiées disposaient déjà de certaines commodités avant la Révolution, en Lorraine, dans le Vexin, dans le diocèse de Sens ou dans celui de Meaux (Bernet, 2000). On pourrait encore ajouter l’Alsace ou la Bourgogne, mais le constat a en fait valeur plus générale. Au cours des deux dernières décennies de l’Ancien Régime, les communautés rurales se sont lancées dans des chantiers de construction de maisons d’école de plus en plus nombreux et cela à leurs frais, au prix d’un lourd endettement qui inquiète les intendants. Il s’agit de pourvoir les communautés en maisons d’école situées au cœur du village, au plus près de l’église et du presbytère. Ces maisons disposeront d’une salle de classe clairement distincte (souvent située au rez-de-chaussée), qui servira aussi de salle de réunion pour l’assemblée générale des villageois (plus d’un cahier de doléances, en 1789, a été rédigé dans ce type de bâtiment), et d’une chambre pour le maître (souvent située à l’étage). C’est là également qu’on installe les équipements qui font défaut au village : four banal, grange collective... Dans certains diocèses, 20 % des paroisses rurales disposent désormais de cet équipement à la veille de la Révolution et la dynamique est ascendante, même s'il semble qu’elle ait été freinée par la Révolution.
Enfin, il faut se garder de voir dans l’absence de la maison d’école, une preuve de scolarisation défaillante. De fait, si le logis du maître est assez vaste et bien chauffé en hiver, si peut y prendre place un mobilier pédagogique minimal (des bancs pour lire, une table avec des encriers pour les « écrivains »), il peut y accueillir et instruire les enfants pour les brèves heures d’école quotidienne, interrompues dès les beaux jours par les travaux des champs. La présence ou l’absence d’une « maison d’école » pèse moins que la présence pérenne ou sporadique du maître dans un lieu et le renouvellement de son contrat par l’assemblée villageoise, même lorsque change le curé.
AMC, CS
[Bernet 2000] Bernet, Jacques (éd.), Journal d’un maître d’école d’Ile-de-France, 1771-1792. Silly-en-Multien, de l’Ancien Régime à la Révolution, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2000. (Compayré 1880) Compayré, Gabriel, Histoire de la pédagogie, Paris, Mallotée, 1880. (Julia 1981) Julia, Dominique, La Révolution : les trois couleurs du tableau noir, Paris, Belin, 1981.Sources et références bibliographiques (cliquer ici)