Église
Lieu de la prière adressée à Dieu et de la délivrance de l’essentiel des sacrements, l’église semble limitée par nature à la parole des clercs ou, à tout le moins à celle des adultes. La voix des enfants y résonne pourtant souvent : sans parler des églises capitulaires entretenant une psallette, c’est-à-dire une école cléricale réservée aux enfants de chœur (Dompnier 2003), les églises accueillaient les écoliers les dimanches et fêtes pour la messe de paroisse et les vêpres, mais aussi à plusieurs reprises dans la semaine pour des messes basses le matin ou pour des prières particulières.
À cet effet, les écoliers apprenaient précocement les codes comportementaux adéquats. Ainsi que le suggère la gravure placée en ouverture des Méthodes de Cossard (1633), ils apprenaient à focaliser leur regard et leur attention sur les objets essentiels du dispositif ecclésial (ici, le crucifix), à adopter les signes extérieurs de piété (mains jointes) et à endurer la posture agenouillée. Leur application quelque peu idéalisée dans cette image finit par troubler la nature du lieu représenté : ces écoliers sont-ils en train de prier dans la salle de leur maître ou dans un oratoire d’un style très dépouillé ?
Une fois installés dans l’église, les écoliers assistaient au service divin en groupe, sous la responsabilité de leurs maîtres ou maîtresses. Jacques de Batencour propose à cet égard deux possibilités :
Pour bien tenir les enfans en respect a l’Eglise, il faut que dans les Paroisses nombreuses, il y ait un lieu, soit une Chapelle ou autre place avec des bancs, ou les enfants puissent demeurer aux jours & veilles des festes, durant tout le service Paroissial, avec le Maistre : & dans les lieux moindres en peuple, comme dans les petites villes, bourgs ou villages, où il y auroit commodité & où le nombre des enfants ne seroit grand, on les pouroit ranger bien proprement, dans le Chœur, autour du lectrin ; mettant les plus grands devant, & les petits derriere, & cette façon ou elle se peut pratiquer est excellente, car outre la Prese[n]ce du Maistre qui est au Chœur avec eux, le respect du saint Sacrement de l’Autel, & de Monsieur le Curé, les tient dans une grande modestie : par ce moyen, on leur enseigne à bien chanter avec le Chœur, & à devenir bons Chrestiens, au lieu de jouër, badiner, caioller, courir dans les Eglises.
[Batencour 1654, 165]
Selon le pédagogue, la répartition des enfants s’opère en vertu du critère du nombre. En cas d’effectif important, les écoliers sont positionnés dans une endroit à part (« une Chapelle ou autre place »). Autrement, Batencour incite à les installer dans le chœur même de l’église : outre une meilleure tenue des enfants, il voit dans cette possibilité une autre manière de former les garçons au plain-chant, par imprégnation au contact des praticiens adultes du chant de l’Église.
Dans les deux cas, les enfants sont incités soit à la récitation murmurée ou intérieure de prières (notamment pour les plus petits ne sachant pas encore lire dans un livre d’heures), soit au chant. Ils se joignent alors aux voix des clercs et chantres adultes pour les psaumes et Magnificat des vêpres ainsi que pour les sections de l’ordinaire de la messe [Batencour 1654, 168]. En configuration groupée, leurs voix nécessitent d’être canalisées par le maître. Les gestes de « chef d’orchestre » étant alors inconnus, c'est par sa position et par sa propre voix que le régent d’école guidait les enfants :
Aussi-tost que l’on commencera Deus in adiutorium au Chœur, [les écoliers] se leveront modestement & feront le signe de la Croix, le Maistre cependant demeurera au milieu du devant des bancs pour conduire les voix de ceux qui cha[n]tent avec le Chœur à ce qu’ils suivent, n’allant ny plus doucement, ny plus promptement & à cet effet il prestera l’oreille en mesme temps aux voix du Chœur, chantant à mesme ton & mesure : Il poussera sa voix le plus qu’il pourra, à ce que personne n’advance, & qu’il serve de regle à tous les Escoliers qui chantent, notamment aux petits, pour éviter la cacophonie.
[Batencour 1654, 169]
Les écoliers les plus aguerris — notamment ceux ayant appris la lecture du plain-chant à l’école — finissaient par être intégrés au groupe des chantres rassemblés autour du lutrin. Au commencement du XIXe siècle, Jean-Henry Marlet représente, dans un environnement de petite église paroissiale, l’un de ces enfants agrégés aux chantres. Alors que deux autres sont en train de servir la messe (à droite de l’image), un troisième garçon est posté au pied du lutrin. Entourés d’hommes de tous âges, il paraît en adopter la vocalité très affirmée. Même si ses traits de visage sont plus détendus que ceux des adultes — dont certaines expressions reflètent les stéréotypes dépréciatifs sur le chant des chantres de village (Bisaro 2010) —, sa bouche grande ouvert, son port de tête relevé et la tonicité de posture laissent imaginer une émission sonore franche et forte. Derrière l’enfant, un chantre bénéficie du privilège de porter une chape et d’être assis sur un tabouret : il s’agit vraisemblablement du maître d’école de la paroisse qui, tout en accomplissant ses fonctions d’église, accompagnait les jeunes garçons vers l’âge adulte du chant.
XB
[Batencour 1654] Batencour (de), Jacques, L'Escole Paroissiale ou la manière de bien instruire les enfants, Paris, Pierre Targa, 1654. (Bisaro 2010) Bisaro, Xavier, Chanter toujours. Plain-chant et religion villageoise dans la France moderne (XVIe-XIXe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010. (Dompnier 2003) Dompnier, Bernard (éd.), Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu. Actes du colloque de 2001, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, 2003.Sources et références bibliographiques (cliquer ici)