Musiciens

Enfin, les musiciens figurent aussi parmi les passeurs du chant — un aspect de leur activité mis en lumière par l’historiographie récente. Trois modalités se développent depuis le Moyen Âge : l’enseignement auprès de musiciens professionnels à l’ombre de l’Église ou de la corporation, l’enseignement suivi auprès de maîtres de musique privés, enfin l’institutionnalisation de l’apprentissage du chant dans des écoles spécifiques au XVIIIe siècle.

Les écoles capitulaires et les maîtrises de chœur

L’enseignement de la musique se déploie doublement depuis le Moyen Âge : d’une part, la théorie musicale est considérée comme une science constitutive du quadrivium ; d’autre part, la connaissance pratique de la musique est liée à la liturgie.

Les enfants montrant des capacités vocales deviennent élèves d’écoles capitulaires et de maîtrises d’enfants de chœur, et consacrent plus de temps au chant qu’aux autres apprentissages (Mailhot 2014 ; Leduc 2003a et 2003b). Ces élèves bénéficient d’une instruction assurée et résident dans une maison privée qui leur est dédiée, la psallette (Loupès 2003). Ils suivent l’enseignement d’un homme à la fois choriste, instrumentiste, compositeur et pédagogue… un maître de musique polyvalent en somme.

Ces institutions, très hétérogènes, se situent entre la petite école et le collège (Mailhot 2014 ; Leduc 2003). Les élèves y sont recrutés vers 7 ou 8 ans, après une audition publique, et y restent jusqu’à la mue de leur voix (Lescat 2003). Dans les maîtrises, les élèves se trouvent ainsi placés à l'intersection entre l’enseignement et la formation professionnelle (Da Silva, Dompnier 2003 ; Renon 1982). Ils reçoivent une double instruction, musicale (chant, parfois un instrument) et générale (lecture et écriture, grammaire et arithmétique, ainsi que quelques bases de latin). Après une dizaine d’année de formation, certains élèves peuvent apprendre un métier : leur niveau de formation intellectuelle est en réalité très variable mais quelques-uns parviennent à intégrer des classes de collège, selon leurs compétences (Rangel 1962).

Seuls certains d’entre eux deviendront clercs ou musiciens, à la différence d’autres élèves pour lesquels l’enseignement du triptyque fondamental se fait dans des écoles professionnelles encadrées par des corporations.

La corporation et l’apprentissage

Pour ces élèves des corporations, le lien est immédiat entre la formation théorique et son volet pratique. Dans ce cadre, l’enseignement est largement fondé sur l’exemple et le mimétisme. Néanmoins, une légère atténuation s'observe au cours du XVIIIe siècle, au moment où se diffusent des manuels permettant une étude méthodique du plain-chant, comme celui de l’abbé Lebeuf. Celui-ci déclare avoir « principalement en vue les enfants », notamment ceux de six ou sept ans car « c’est à cet âge que le chant est aisé à apprendre » (Bisaro 2004, 149-150). Derrière cette critique des formes traditionnelles de transmission des connaissances et des savoir-faire par l'apprentissage, on perçoit une volonté d’efficacité pédagogique nouvelle.

La volonté de suivre les enseignements d’un musicien suppose en outre de pouvoir entrer dans la même gyrovaguie et les mêmes conditions de vie que lui, dans une sorte de Grand Tour musical, théorique, pratique et technique (Bisaro, Clément, Thoraval 2017 ; Escoffier 1996).

Les maîtres de musique privés, hors ou dans les structures scolaires

Troisièmes intervenants possibles dans la formation musicale : les maîtres de musique privés qui prennent en charge, dès le XVIe siècle, les enfants, filles et garçons, de la noblesse et de la haute bourgeoisie. La musique et la danse sont alors devenues des pièces incontournables de l’éducation dans ces catégories sociales. Les leçons particulières se développent ; des manuels d’initiation sont publiés, comme ceux du luthiste Adrian Le Roy (vers 1520-1598) et de Robert Ballard (vers 1525-1588), originaires de Montreuil-sur-Mer, « imprimeurs de la musique du roi » à partir de 1553 et fondateurs d’une dynastie d’éditeurs musicaux active jusqu’en 1825. Certaines de ces élèves suivent cet enseignement payant dans le but d’intégrer l’Opéra au XVIIIe siècle (Carbonnier 2003, 178-179).

L’enseignement de la musique n’est pas réservé aux catégories privilégiées : des maîtres sont engagés par les structures éducatives charitables, afin que les élèves les plus pauvres bénéficient eux aussi de cet enseignement musical (Bisaro 2015, 156-126).

Les compétences musicales et vocales acquises par les jeunes gens trouvent à s’exprimer dans le cadre de la sociabilité bourgeoise et nobiliaire, mais aussi dans leurs établissements scolaires, collège ou couvent. Les collèges jésuites, en particulier, jouent un rôle important dans la diffusion de l’art musical. À partir de 1650, des intermèdes musicaux et dansés ponctuent les pièces de théâtre à caractère religieux joués par les élèves lors de la distribution des prix annuels (Van Wymeersch 2007, 101-112).

Au siècle des Lumières enfin, deux institutions couronnent l’édifice éducatif consacré à l’apprentissage du chant : l’École royale de chant de l’Opéra (1714) et l’École royale de chant (1784).

VC

Références bibliographiques (cliquer ici)

(Bisaro 2004) Bisaro, Xavier, L’Œuvre liturgique et musicologique de l’abbé Jean Lebeuf (1687-1760) : histoire, réforme et devenir du plain-chant en France au XVIIIe siècle, thèse Université de Tours, 2004.

(Bisaro 2015) Bisaro, Xavier, « La voix des pauvres : chant et civilité oratoire dans les écoles de charité de Lyon à la fin du XVIIe siècle », Histoire de l’éducation, 143/1 (2015), p. 125-154.

(Bisaro, Clément, Thoraval 2017) Bisaro, Xavier, Clément, Gisèle et Thoraval, Fañch, La circulation  de la musique et des musicien d’église. France XVIe-XVIIIe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2017.

(Carbonnier 2003) Carbonnier, Youri, « Le personnel musical de l’opéra de Paris sous le règne de Louis XVI », Histoire, économie, société, 22/2 (2003), p. 177-206.

(Da Silva 2003) Da Silva, Nathalie, « La maîtrise de la cathédrale de Clermont aux XVIIe et XVIIIe siècles », Bernard Dompnier (éd.), Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu. Actes du colloque de 2001, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, 2003, p. 43-59.

(Dompnier 2003) Dompnier, Bernard (éd.), Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu. Actes du colloque de 2001, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, 2003.

(Dompnier 2012) Dompnier, Bernard, « Les maîtrises capitulaires et l’apprentissage du métier de musicien dans la France d’Ancien Régime », Guy-Thomas Bedouelle, Christian Belin, Simone de Reyff, La Tradition du savoir, Fribourg, Academic Press, 2012, p. 131-151.

(Escoffier 1996) Escoffier, Georges, Entre appartenance et salariat, la condition sociale des musiciens en Province au XVIIIe siècle, thèse EPHE, 1996.

(Leduc 2003a) Leduc, Christophe, « Voix du Temple, voies de l’Église. Les enfants de chœur de la métropole de Cambrai aux XVIIe et XVIIIe siècles », Bernard Dompnier (éd.), Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu. Actes du colloque de 2001, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, 2003, p. 61-82.

(Leduc 2003b) Leduc, Christophe, « À l’ombre de la cathédrale. Les enfants de chœur du chapitre métropolitain de Cambrai aux XVIIe-XVIIIe siècles », Jean-Pierre Barbet, Jean-Noël Luc, Isabelle Robin-Romero, Catherine Rollet (éd.), Lorsque l’enfant grandit. Entre dépendance et autonomie, Paris, Presses Universitaires de Paris-Sorbonne, 2003, p. 647-649.

(Lescat 2003) Lescat, Philippe, « Le recrutement des maîtrises parisiennes aux XVIIe et XVIIIe siècles», Bernard Dompnier (éd.), Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu. Actes du colloque de 2001, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, 2003, p. 97-116.

(Loupès 2003) Loupès, Philippe, « Les psallettes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Étude de structure », dans Bernard Dompnier (éd.), Maîtrises et chapelles aux XVIIe et XVIIIe siècles. Des institutions musicales au service de Dieu. Actes du colloque de 2001, Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal, 2003, p. 25-41.

(Mailhot 2014) Mailhot, Bastien, Les enfants de chœur des maîtrises du centre de la France : les institutions capitulaires d’éducation et leurs élèves aux XVIIe et XVIIIe siècles, thèse Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2014.

(Rangel 1962) Rangel, Fernand, « La maîtrise et les orgues de la primatiale Saint-Trophime d’Arles », Recherches sur la musique française classique, 2 (1962), p. 99-116.

(Renon, 1982) Renon, Marie-Reine, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges du XVIe siècle à la Révolution, Saint-Amand, Bussière,1982.

(Role 2000) Role, Claude, François-Joseph Gossec (1734-1829) : un musicien à Paris de l’Ancien Régime à Charles X, Paris, L’Harmattan, 2000.

(Van Wymeersch 2007) Van Wymeersch, Brigitte, « L’enseignement de la théorie musicale dans les collèges jésuites au XVIIe siècle », Anne Piéjus (éd.), Plaire et instruire. Le spectacle dans les collèges de l’Ancien Régime, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, p. 101-112.