Communautés enseignantes

Dans les campagnes, mais surtout dans les villes, une partie des enfants fréquentent les écoles des communautés enseignantes. Depuis le début du XVIIe siècle, Ursulines, religieuses de la congrégation Notre-Dame puis, plus tardivement, Frères des Écoles chrétiennes ont ouvert des dizaines d’écoles sur tout le territoire et jouent un rôle important dans l’alphabétisation des milieux populaires urbains. La voix de l’enfant y est canalisée autrement que dans les écoles des paroisses, des villages et des quartiers.

L’invention de la leçon commune

Ces communautés enseignantes ont été pionnières dans la mise en œuvre des méthodes simultanées : les enfants ne viennent pas réciter l’un après l’autre leur leçon auprès du maître ou de la maîtresse, mais sont rassemblés en petits groupes de même capacité, qui travaillent sur le même texte. Dans ces exercices de lecture, les voix se relaient et s’enchaînent, le maître passant la parole à l’un ou à l’autre pour maintenir l’attention du groupe. À la voix haute de l’enfant interrogé, succèdent les voix basses de ses comparses qui répètent la même leçon en s’appuyant sur leur livre.

Cette formalisation de la « leçon commune » se trouve dès le milieu du XVIIe siècle dans l’Escole paroissiale de Jacques de Batencour, prêtre de la communauté Saint-Nicolas du Chardonnet dont l’école parisienne a constitué un important laboratoire d’innovations pédagogiques (1654), dans les Vraies constitutions des religieuses de la congrégation Notre-Dame rédigées par Pierre Fourier, curé de Mattaincourt en Lorraine (1649), ou encore dans les règlements de la congrégation des Ursulines de Paris (1653).

Les formes individuelles ou chorales de la récitation restent toutefois importantes, comme chez les sœurs de la congrégation Notre-Dame : « quelquefois on les exercera toutes ensemble, en leur montrant, et faisant dire sur quelque tableau l’assemblage des lettres en syllabes et des syllabes en mots » [Fourier 1649, 3e partie, 38-39]. Le principe de la « leçon commune » fait ensuite école dans tout le royaume au cours du XVIIIe siècle : les évêques de la moitié nord de la France, comme ceux de Rouen ou de Châlons-sur-Marne, en recommandent l’adoption dans les écoles de leurs diocèses.

L’éducation au silence

Les maîtres et maîtresses qui dépendent d’une communauté se distinguent aussi par la formation commune qu’ils ont reçue. À l’époque moderne, les constitutions des communautés insistent sur la nécessité d’inculquer aux jeunes maîtres la « retenue » de leurs mouvements, de leurs propos, de leur conduite. La Conduite des écoles rédigée par Jean-Baptiste de La Salle pour former les jeunes Frères des Écoles chrétiennes, insiste sur le silence qui doit régner dans la salle de classe : plutôt que sa voix, le maître doit utiliser un signal pour donner ses consignes aux écoliers.

DES MOYENS D’ÔTER ET DE DÉRACINER TOUTES LES MAUVAISES QUALITÉS DANS UN NOUVEAU MAÎTRE 

Premièrement : des moyens d’ôter le parler 

Engager les nouveaux maîtres à ne point parler du tout pour quelque raison que ce soit, quand même il paraîtrait à propos et nécessaire de parler pendant un certain temps : au commencement pendant un quart d’heure, dans la suite pendant une demi-heure et enfin pendant une heure ou plus, selon qu’on le jugera à propos pour accoutumer ainsi peu à peu à garder le silence, et après que ce temps sera passé, les engager de nouveau à en user encore de même pendant un quart d’heure ou une demi-heure, selon qu’on le jugera capable.

Lorsqu’il parlera inutilement, lui faire remarquer sur-le-champ, ou à la fin de l’école, l’inutilité de ses paroles et lui dire en même temps ce qu’il aurait dû faire pour ne point parler – comme par exemple en faisant lire un écolier, il reprenait lui-même les fautes que l’écolier ferait. 

Il faudra lui faire remarquer qu’au lieu de parler pour ce sujet, il fallait frapper deux coups de signal, ce qui aurait obligé l’écolier de recommencer le mot qu’il aurait mal dit et que, peut-être, il l’aurait bien dit ensuite ; que, s’il ne disait pas bien une ou deux fois, il fallait frapper un seul coup de signal pour faire regarder tous les autres, faire signe à l’un de ceux qui sont dans la même leçon de lire, lequel aurait bien dit le mot que l’autre ne pouvait pas bien dire, etc.

Les maîtres reçoivent ainsi une véritable éducation au silence, qui doit leur permettre de faire de la salle de classe, une enclave de calme au sein d'un monde bruyant et tapageur.

<em>Recueil de cantiques spirituels, choisis spécialement pour l'usage des écoles chrétiennes (1788)</em>

Recueil de cantiques spirituels, choisis spécialement pour l’usage des écoles chrétiennes (1788)

Chanter chez les Frères des Écoles chrétiennes

La place du chant dans ces écoles est étroitement liée à la culture des communautés. Chez les Ursulines, par exemple, la pratique du chant scolaire obéit aux relations compliquées que l’ordre entretient avec la musique, qui varient dans le temps et l’espace au cours de l’époque moderne. Pour aller plus loin : Chanter chez les Ursulines.

Chez les Frères des Écoles chrétiennes, le fondateur Jean-Baptiste de La Salle a voulu éviter toute confusion avec le statut ecclésiastique pour préserver la mission première, pédagogique, de la communauté. Le chant, assimilé à un glissement vers la chaire, est explicitement écarté. Les Règles communes stipulent qu’ils « ne pourront être prêtres, ni prétendre à l’état ecclésiastique, ni même chanter, ni porter le surplis ». La place du chant est donc périphérique, à l’église comme à l’école. Dans la vie communautaire, les occasions de chanter sont rares, limitées aux cérémonies des vœux perpétuels. Dans la conduite des écoles, le chant apparaît sous la forme unique du cantique spirituel dont on chante « environ six versets » à la fin de la classe, après la récitation de la prière du soir, hors donc du temps scolaire.

<em>Cahier manuscrit de cantiques (Maison des Frères des écoles chrétiennes d'Avignon, c1775)</em>

Cahier manuscrit de cantiques (Maison des Frères des Écoles chrétiennes d’Avignon, v. 1775)

Pour servir à ces cantiques, comme pour toutes les pratiques de ses écoles, La Salle a prévu un support imprimé particulier, un recueil de cantiques imprimé pour la première fois à Paris, chez Antoine Chrétien, en 1705. Malgré les réticences du fondateur à l’égard du chant, l’ouvrage fait date : il s’agit peut-être du premier recueil de cantiques explicitement destiné à la jeunesse, sans que les textes aient été pour autant rédigés à cet effet. Contrairement aux autres supports pédagogiques lassaliens, les cantiques ne sont pas son œuvre et ne constituent pas un support figé. Des suggestions s’exercent tout au long du siècle sur le corpus hérité, œuvrant ainsi à sa modernisation.

Dans les « Changemens à faire au cantique si on le trouve à propos à une nouvelle édition », les frères d’Avignon proposent d’insérer trois nouveaux cantiques, sur la vie de Saint Nicolas (sur l’air de On dit que vos parens), « Qu’il faut n’aimer que Dieu seul » (sur l’air de Que n’aimez-vous cœurs insensibles), et un cantique à la Vierge Marie (sur l’air des Montagnes). Ces demandes témoignent du goût musical de la base : on insèrerait encore un autre cantique marial « qui est goûté d’un grand nombre de frères ».

<em>Recueil de cantiques spirituels, choisis spécialement pour l'usage des écoles chrétiennes (1788)</em>

Recueil de cantiques spirituels, choisis spécialement pour l’usage des écoles chrétiennes (1788)

Entre le premier recueil de 1705 et celui de Rouen de 1788, présenté ici, le recueil s’accroit ainsi considérablement (de 48 à 108 cantiques), avec un très fort renouvellement et la diversification des timbres, parfois anciens et éprouvés, parfois plus récents. Le recueil adapte le plus souvent de nouvelles paroles aux airs profanes bien connus à l'époque (Que fais-tu bergère, Charmante Gabrielle, Le vin charmante Iris, etc.). « Venez, Divin Messie » a été composé sur l’air de bergerie (Laissez paître vos bêtes). Cette production « poétique » christianise la culture populaire, en injectant un contenu religieux dans une forme profane partagée (l’inverse est interdit, considéré comme blasphématoire). La mémoire indéfectible du texte chanté renforce le catéchisme (il y a des cantiques sur les sacrements, les vertus, les péchés, etc.) que la ferveur du chant collectif doit faire « ressentir » (voir la page Catéchisme).

EC, AMC

Sources (cliquer ici)

[Fourier 1649] Fourier, Pierre, Les vrayes constitutions des religieuses de la congrégation de Nostre Dame, s.l., s.n., 1649.