La voix du futur
Les cérémonies publiques comme celles que nous avons vues précédemment ne disparaissent pas avec la Révolution française, bien au contraire (Ozouf 1976, Vovelle 1976). Si la présence du fait religieux s’y estompe peu à peu pour laisser place à l’exaltation de la Cité nouvelle, de ses valeurs et de ses acteurs (les citoyens), les fêtes révolutionnaires partagent au moins deux objectifs communs avec celles du christianisme de l’Ancien Régime : convaincre et attester. Convaincre car la « pédagogie cérémonielle » est une pièce majeure du dispositif envisagé par la Révolution pour régénérer la société (Harten 1990). Attester, car les fêtes visent aussi à conforter les choix politiques du groupe célébrant, en montrant un corps social communiant déjà de manière unanime dans un même système de croyances et de valeurs révolutionnaires. Dans ce cadre cérémoniel, les enfants, ainsi que leur chant, trouvent une place essentielle, par leur capacité à préfigurer l’avenir (Ozouf 1970).
La fête que le village de Rebais célèbre en l’honneur de la « Montagne », le 10 germinal an II (30 mars 1794), est caractéristique de cette tendance, relativement spontanée en 1792-1794, davantage encadrée par les autorités républicaines ensuite. Si la plantation d’un arbre de la liberté dans la cour de récréation de l’école est l’objet principal de cette cérémonie, la fête débute toutefois par une véritable procession civique, qui s’élance depuis la salle de classe de la commune. Le cortège, qui reviendra ensuite en son point de départ, est guidé par les écoliers, qui entonnent à plusieurs reprises des « hymnes patriotiques » au son d’une musique « simple mais militaire ». Tout ce que le village compte d’autorités révolutionnaires et de citoyens convaincus suit les enfants, dans un ordre précis : municipalité, comité de surveillance, juge de paix, société populaire et enfin une « affluence de peuple de l’un et de l’autre sexe » (sans doute les parents d’élèves). L’ordonnancement du cortège ne doit rien au hasard. Cette procession civique, associant les différents âges de la société, est d’abord chargée d’exprimer l’engagement de tous les villageois de Rebais dans le processus révolutionnaire. Placer à sa tête les enfants n’est pas non plus dénué de sens : jouant de la symbolique des âges, cette procession entend montrer, à tous, dans l’espace public, une communauté marchant vers son avenir républicain. Le chant des écoliers permet de renforcer encore cette signification de la fête. Par l’effet de chœur qu’ils autorisent, les hymnes des élèves, repris par tout le village, doivent non seulement atteindre les corps et les âmes des participants afin de renforcer leurs convictions révolutionnaires, mais ils doivent encore donner une image éloquente d’un futur où tous les habitants du lieu seront liés par un ensemble de gestes et de valeurs, une culture républicaine partagée.
CS
(Harten 1990) Harten, Hans-Christian, Elementarschule und Pädagogik in der Französischen Revolution, Munich, Oldenburg, 1990. (Ozouf 1970) Ozouf, Mona, « Symboles et fonctions des âges dans les fêtes révolutionnaires », Annales Historiques de la Révolution française, 1970, vol. 202, p. 570-589. (Ozouf 1976) Ozouf, Mona, La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976. (Vovelle 1976) Vovelle, Michel, Les métamorphoses de la fête en Provence, de 1750 à 1820, Paris, Aubier-Flammarion, 1976.Références bibliographiques (cliquer ici)